samedi 24 avril 2010

Lettre n°2 de Jean I Hordal à Charles du Lys, 1610


Autre lettre, du même au même, du 25 mars 1610.

Monsieur,

L'extrémité de plusieurs afflictions, angoisses, infortunes et pertes qui m’ont couru sus depuis la fin de juillet dernier, m’a réduict en tels termes que j’ay esté contrainct de donner treusve à plusieurs de mes affaires, et entre autres j’ay différé de rendre response aux vostres et à celles de Monsieur de Roully, bien que j’en aye eu très bonne souvenance et volonté d’y satisfaire. Mais pour plusieurs empeschements qui me sont survenus en ay esté, à mon grand regret, destourné ; de quoy vous supplie tous deux m’excuser en attribuant la cause du retardement de ma réponse à vos lettres aux fascheries, desplaysirs et indispositions desquelles ay esté visité de Dieu et me suis envieilly de dix ans, et me sens à présent plus mal à mon ayse pour la santé corporelle que n’ay jamais faict. Et pour vous en escrire clairement, seurement et en parent et amy ; j’ay esté en 14 jours privé de trois enfants, que j’aymois autant et plus que moy mesme et desquels avois autant d’espérance pour leurs bonnes qualitez qu’eusse sceu desirer. Le 28 de juillet ma petite fille, qui estoit les délices de ma mayson, estant morte ayant esté malade 1 5 jours, mon fils ayné, aagé de 20 ans, non-seulement versé aux lettres, ayns prest à tout faire, le 2 d’aoust, estant party de ma mayson contre mon gré et sans mon consentement pour se faire jésuiste et entrer au noviciat de Nancy, un jour après m’avoir desclaré sa volonté, laquelle n’estimais estre telle, et de faict n’y avoit aucune apparence, pour plusieurs considérations qu’aymerois mieux vous desduire de bouche que par escrit. Et mon second fils, aagé de 18 ans, martial, courageux et qui promettoit beaucoup, après avoir l’espace de 19 jours resisté virilement acutissimo morbo, estoit allé de vie à trespas le 20 d’aoust, à mon grand regret et non sans infinis gémissements et pleurs de leur bonne mère, grand’mère et autres, leurs parents et amys.

Depuys, je tombay malade, ma femme aussy, et n’avons esté sans appréhension de la mort. Enfin Dieu, par sa bénigne grâce, nous regarda de ses yeux de miséricorde en nous renvoyant la santé. Ce néantmoins ne pus me contenir en mon logis, et pour changer d’air et me recréer, m’en allay visiter Messieurs nos parents et amys de Toul, et delà à Barisey-au-plein, où feu Estienne Hordal, mon bisayeul, et la bonne Hauvy, sa femme (que Dieu absolve), ont faict leur résidence et sont morts, et de là à Domremy, lieu de la nativité, baptesme et nourriture de la céleste Pucelle d’Orléans, nostre bonne parente, et puis à Rup, Neufchateau, la Motte et autres lieux où la dicte Pucelle avoit hanté et fréquenté et où trouvay plusieurs de ma cognoissance et de mes bons amys et d’où sortis avec une consolation intérieure et contentement extérieur pour le bon recueil qu’y avais receu. Et en retournant en ma maison, rencontray ma femme qui retournoit de Nancy, où elle estoit allée pour voir son jésuiste et sçavoir comme il se portoit et quelle résolution il avait pris. Et me dict l’avoir trouvé have et defaict et fort maigre, et qu’il continuoit en sa déliberation, et ainsy qu’elIe n’avoit rien pour ce regard advancé, me protestant au reste que se voyant privée de ma compagnie et de celle de ses enfants, elle avait esté saysie de telle tristesse qu’elle ne s’estoit peu tenir en ma mayson ; de quoy fus fort ayse, principalement la trouvant avec nos petits enfants en bonne santé, par la grâce de Dieu. Où depuis, ay eu tant d’affaires, d’empeschements et de procès pour mon particulier en plusieurs lieux circonvoisins et de diverses juridictions, que n’ay esté sans beaucoup d’exercices, outre plusieurs commissions qu’ay receu de Son Altesse, tant à la ville qu’aux champs. Et nouvellement, depuis un mois, Sadite Altesse m’a deslégué avec sept autres Conseillers d’Estat des siens, pour une révision de procès de très grande importance jugé par Messieurs de la Cour souveraine de Saint-Mihiel : et commandement nous est faict, incontinent après Pasques, à sçavoir le 29 d’apvril, d’arguer conjoinctement à la dicte révision. Et sy depuis un mois ay esté distraict de mes estudes et autres affaires pour voir toutes les pièces du dict procès, exceptées les secrètes, qui sont en la dicte cour. Et d’ailleurs ay receu lettres depuis deux mois de Monsieur de la Saussaye, doyen de Ste-Croix d’Orléans, que j’ai cogneu pour un vénérable personnage et qui m’a traicté en sa mayson d’Orléans fort honorablement, et aussy luy suis-je obligé ; par les quelles lettres il me prie bien fort ipsi indicare testim exterorum authorum de Aurelianensi Paella scribentium, ut totum ex beneficio meo habeat. Je vous envoye copie des dictes lettres, de mot en mot avec ma réponse, laquelle vous ayant leu, Monsieur Hordal, mon cousin, la fera tenir au dict sieur de la Saussaye, en laquelle réponse vous verrez plusieurs bons autheurs allégués.

Sy néantmoins, j’en ay encore reservé quelques uns cogneus de peu de gents, pour s’en servir en temps et lieux, et sur ce, il vous plaira m'escrire ce qu’il vous en semble. Je m’assure que remarquerés ce que luy escris sur la fin de ma dicte response : Quibus omnibus praemissis ut ratione corum excusa tione dignus videor ob moram in respondendo a me extracta. Je respondray briefvement au contenu de vos dernières, au commencement desquelles est inséré le tesmoignage du respect qu’on rend à la mémoire de la dicte Pucelle et à ceux qui sont descendus de sa parenté et ligne féminine. Et c’est la response à ce que je vous ay escry en la fin de mes premières. Sur le milieu aussy desquelles faictes mention de Monsieur de Tournebus et de Monsieur Feron, qui sont contenus en l’arbre de généalogie qu’il vous a pieu m’envoyer, dont vous remercie bien humblement et dont pourrons, Dieu aydant, quelque jour discourir.

Touchant le doubte que faictes de la dicte Hauvy, ma bisayeulle, je vous supplie de croire qu’il est très bien vérifié, qu’elle est fille de Pierre Darc, troisiesme frère de la dicte Pucelle, et non de Jean Darc, prévost de Vaucouleurs, et de ce vous en jure en homme d’honneur. Et si, pour preuve de ce, Monsieur le grand doyen de Toul, mon cousin, avelet de la dicte Hauvy, m’a dict et asseuré qu’il mettroit, si besoing estoit, sa teste sur un bloc pour estre coupée, desquels termes il a usé, et pour sa grande preudhomie et fidelité, fais autant d’estat d’un tel tesmoing, qui est omm exceptione major, que si plusieurs autres en déposaient. Et sy le dict sieur Doyen et autres n'ont assuré le dict Pierre avoir esté marié en Lorraine, c’est à sçavoir en un village proche de Toul, appelé Buré ; de sorte qu’il faut inférer nécessairement que, puisqu’il appert qu’il a été résident en France avec femme et enfants, ou qu’il a mesné en France la femme qu’il avoit prise en Lorraine, dont est sortie la dicte Hauvy qui demeura en Lorraine et fut mariée au dict feu Estienne Hordal, et que messieurs vos defuncts prédécesseurs en sont descendus, ou bien que la mère de la dicte Hauvy estant morte, le dict Pierre auroit convolé, en France, à de secondes noces, dont messieurs vos prédécesseurs sont extraicts seulement. D’une chose pouvons-nous estre assurés, qu’estes descendus du dict Pierre en ligne masculine, et nous en ligne feminine, et crois en ma conscience estre chose très véritable. Au surplus, estant dernièrement à Metz, je trouvay en la bibliothèque d’un de mes amys les Mémoires du sieur du Tillet, et en la vie de Charles 7, mention est faite de la dicte Pucelle, et sa mère est appelée Isabeau de Vouthon, et non Romée, ce que n’avois encore remarqué et qui est pour respondre à un de vos premiers mémoires. Semblablement au dict lien de Metz, m’informant de feu Monsieur Pinguet, dont m’avez escry, je trouvay sa tombe tout proche de la porte du choeur de l’esglise de St-Estienne, qui est de cuivre et bien gravée, avec 4 vers :


Martinus Pinguet sensu mirandus et annis, etc

Il est aussy peint en deux lieux des vitres de la dicte Esglise, et ayant rencontré Monsieur le Prévost de St-Thibault de Metz, qui a cognoissance de la vie du dict Pinguet, le pria y qu’estant à Paris, où il devoit aller bientost, il vous allast voir de ma part pour vous desclairer ce qu’il sçavoit du dict Pinguet, duquel je me souvenois avoir leu quelque chose. Mais pour avoir donné le livre où j’avois veu une description d’une partie de sa vie, j’en doutois aucunement, et voilà pour quoy ne vous escry rien pour lors. Du depuis j’ay descouvert l’autheur du dict livre, qui est Wassebourg, archidiacre de Verdun, aux Antiquités de la Gaule Belgique, dedans lequel est à sçavoir au livre 7, fol. 539 et se qq., vous voirez merveilles du dit Pinguet, qui est dit estre Poitevin.

Finablement, je vous rends mil et mil remerciements de l’honneur et bonnes offres qu’il vous a plu me faire par vos dernières, de vouloir assister mon fils aisné (à present jésuiste), au cas qu’il voulust estudier en théologie ou en médecine. Mon dessein estoit, dans deux ans, iceluy ayant estudié aux lois et pris son degré, le conduire à Paris pour hanter le barreau et jouyr de vostre honorable compagnie, s’il vous eust pleu, et de faire suyvre aussy mon second fils, pour, avec votre faveur, le mettre avec quelques gentilshommes de Normandie de nos alliez, veu qu’il n’estoit né aux lettres, ayns plus fort aux armes ; mais il a pIeu à Dieu d’en disposer autrement, à quoy nous ne pouyens penser, ma femme et moy, sans un resentiment et regret inénarrable. Ce néantmoins nous nous conformons à la volonté de Dieu, qui sçait ce qui nous est nécessaire. Et sy depuis la mort de mon dict fils, ay sceu d’un P. capucin, mien amy, iceluy avoir pris resolution (tant il avoit appréhention des jugements de Dieu) d’estre des leurs, bien qu’il fit le fendant à la ville et aux champs, où il alloit souvent : et estoit doué d’une grande force et agilité, de laquelle ayant abuzé en traversant plusieurs fois à nage nostre fleuve de Moselle en temps mal propre, il fut surpris d’une fièvre et dissenterie dont il mourut, nonobstant le bon soing que nous avions de le garantir avec l’ayde de Dieu et l’assistance de plusieurs médecins et apothicaires. Que s’il fût revenu en santé et qu’il eust entré en la Religion des Capucins, n’eusse esté si mal content, (les capucins ne prétendant aucunement à la succession de leurs parents) comme j’ay esté pour l’entrée de mon aysné aux Jesuistes, qui ne veullent seulement avoir les enfants des gents d’honneur, mais aussy leurs biens. De quoy me suis assuré de plusieurs de ces quattiers icy. Pour mon regard, je tascheray d’y mettre ordre, eu esgard qu’ay encore, par la grâce de Dieu, trois petits fils : le premier desquels n’a que huict ans, le second six, et le troisième trois mois, avec une fille de 9 ans et demy, reste d’unze enfans, auxquels le bien de leur frère appartiendra, puisqu’il ne pourra les assister, comme il devroit et pourroit s’il fût demeuré au monde. Ce qu’ay desclaré assés souvent, mesme en la présence du Provincial des Jésuistes, auquel je dis ma volonté estre de priver mon fils de tous mes biens, veu que contre ma volonté il estoit entré en leur compagnie. Et comme il m’eust demandé si je pourrois estre si cruel, je respondis qu’il n’y avoit pas en cela de cruauté, veu la désobéissance de mon fils et son ingratitude en mon endroict ; et que j’avais d’autres enfants qu’il fallait advancer et nourrir aux estudes, et que les Jésuistes estoient riches et opulents, comme ils sont en ces quartiers icy, et plus qu’on ne pense, et y on, tel crédit qu’il fault temporiser.

J’ay entendu que le roy a pourveu et ordonné sagement à son accoustumé sur ces biens et successions que prétendent ceux qui se font jésuistes. Je vous prie me faire avoir copie de telles ordonnances à votre commodité. Et encor que sois privé de l'espérance que favois d’aller en France avec les deux premiers des miens, sy néantmoins je serois marry de mourir que ne vous aye veu, honoré, caressé, embrassé, et Monsieur de Roully et autres de notre parenté, qui se présenteront, avec autant de sincérité et d’affection cordiale qu’il y en puisse avoir entre frères germains bien nés et d’amitiés entières. Et ce, dans un an et demy ou environ, lorsque j’auray, Dieu aydant, eshaucité ou parachevé la description de l’histoire de la Pucelle, ne voulant rien du tout, pour ce subject, mettre en lumière, que de vostre advis et approbation. Que si l’occasion se présentoit de nous visiter en ces quartiers, je vous recevray d’aussy bon coeur que pourriez souhaiter et de telle sorte que vostre honnesteté en auroit contentement. Et si telle félicité m’arrivoit, renovaretur ju ventus nostra ut aquilae.

Vous baizant les mains et à Mademoizelle vostre femme, à Monsieur votre fils, à Monsieur le conseiller, à Mademoiselle vostre fille et à tous autres qui nous peuvent assurément appartenir, comme aussy faict ma femme, et d’aussy bon coeur que desire vivre et mourir en vos bonnes grâces, et que suis, Monsieur, vostre très humble et très affectionné serviteur et parent.

Hordal.

De notre maison de Pont-à-Mousson, le 25 de mars 1610.

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